mardi 13 mai 2008

Vers une réhabilitation des fusillés pour l'exemple ?

Le gouvernement semble réagir au vœu adopté à l'unanimité par le Conseil général de l'Aisne : son objectif reconnaître les condamnés pour l'exemple comme des soldats à part entière.

Quelle est l'intention du gouvernement ?

C'est Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants, qui a repris cette idée ce week-end. Avec infiniment de prudence, voire de confusions, cependant. Il parle de réhabilitation au cas par cas pour distinguer les droits communs des mutins. Or l'expression "condamné pour l'exemple" choisie par le Conseil général indiquait bien que les "droits communs" étaient exclus.
D'autre part, le secrétaire d'Etat parle de réhabilitation et non d'une reconnaissance. Le terme de réhabilitation désigne en général une procédure judiciaire : cela conduit à ré-instruire les procès avec la possibilité d'une éventuelle indemnisation.
Est-ce que ce sont des approximations ? Ou bien l'approche envisagée par le gouvernement est-elle différente de celle du Conseil général ? Dans ce cas-là, cela irait à rebours du refus de repentance proclamé haut et fort par Nicolas Sarkozy.

Tirs croisés des "Spécialistes de la Grande Guerre"

L'affaire suit donc une évolution encourageante : les commémorations du 11 novembre devraient faire une place aux fusillés pour l'exemple, contrairement à ce que préconisait Jean-Jacques Becker dans sa leçon de morale introduisant son rapport. Il ne faut pas croire pour autant que les historiens de "l'Ecole de Péronne" aient évolué sur cette question comme le prouve cette intervention de Jean-Jacques Becker dans le Journal du Dimanche :
"De quoi se mêle le conseil général de l'Aisne ?" demande-t-il. La notion même d'exemplarité des condamnations lui semble discutable: "Ces soldats ont été jugés par les tribunaux militaires, il y a sans doute eu des erreurs judiciaires mais la forme a été respectée. Il serait faux de dire qu'ils n'étaient coupables de rien."

Quant à Stéphane Audouin-Rouzeau, il pensait (France-Info le 16 avril 2008) que tous les fusillés étaient déjà réhabilités ! C'est évidemment faux, d'après N. Offenstadt, un tiers des procès de fusillés environ ont été instruits de nouveau après la guerre. Les autres condamnés n'ont pas été réhabilités.

Conclusion de tout cela : les historiens de "Péronne" s'arcboutent et réécrivent l'histoire. Heureusement pour eux, ils ont les faveurs des grands médias qui ne connaissent que les Becker et Audouin-Rouzeau comme "Spécialistes de la Grande Guerre". Ce n'est pas grave s'ils n'ont jamais travaillé sur les fusillés. Ce n'est pas grave s'ils ne connaissent pas grand-chose sur cette question...

mercredi 23 avril 2008

Ecrire l'histoire de l'occupation de l'Aisne

Pardon d'avance, je vais un peu parler de moi. Je suis enseignant à Soissons depuis près de deux ans et c'est en arrivant dans ce département que j'ai été "happé" par son histoire.

Je souhaite désormais commencer un travail de recherche sur un aspect un peu trop méconnu de cette histoire :
l'occupation de l'Aisne par les Allemands entre 1914 et 1918. Plus précisément ce qui est intéressant d'étudier est le rapport entre les habitants et les nouvelles autorités. L'Occupation telle qu'elle se met rapidement en place en 1940 a-t-elle un précédent semblable ?

Faute de témoins directs, j'ai besoin de documents qui datent de cette période. Alors si vous avez dans vos greniers des carnets, des journaux qui ont été tenus pendant cette période, merci de me contacter (laissez un commentaire ou envoyez un mèl).

Il est temps d'écrire cette page d'histoire de notre département.

Merci d'avance,

vendredi 18 avril 2008

Tichot : le CD... enfin !

J'ai plusieurs fois parlé de Tichot. J'ai déjà dit combien ce travail de réinterprétation des chansons de 14-18 était à la fois nécessaire, inspiré et subtil.
Et bien, ça y est ! Le CD est arrivé ! Et le groupe s'est même offert un lancement de l'album dans les ruines du village de Craonne, le 16 avril dernier (voir les photos).
"C'est à Craonne, sur le plateau / Qu'on doit laisser sa peau". Ces mots ont résonné avec émotion sur cette terre marquée par la douleur et les morts.

Le disque n'est pas seulement un disque mais aussi un beau livre avec des photographies d'archives, des éléments historiques, les paroles des chansons et une très belle correspondance entre un "bonhomme" et son épouse.
Quant aux chansons, j'ai déjà indiqué comment elles montraient que ce qui est appelé "culture de guerre" est très divers : il n'y a pas une mais de multiples perceptions de la guerre.

  1. L'album commence par la fin : un Testament du fantassin, un poème écrit par un combattant, Paul Verlet. L'interprétation est très sobre, comme une confession au début. Ce testament révèle l'obsession de la mort : Paul Verlet imagine sa mort avec les moindres détails et là, la voix de François Guernier prend de l'ampleur comme un cri de désespoir. Puis l'apaisement vient avec le sens de cette mort : "c'était un brave gars, il est mort pour la France !".


  2. Hurtebise, seconde chanson de soldat. Chaque couplet est le prétexte à une nouvelle rime, une nouvelle correspondance avec le lieu d'Hurtebise sur le Chemin des Dames. L'effet est souvent drôle : "Forcément, on y économise / A Hurtebise". Ainsi est décliné chaque aspect de la vie des tranchées, présentée non sans ironie comme une vie d'oisiveté, une vie tranquille. Tichot sert ses paroles avec une mélodie joyeuse.


  3. Le ton est plus grave, la musique plus mélancolique avec Le champ d'honneur, poème de l'anarchiste Eugène Bizeau dont la clairvoyance n'a d'égal que ses qualité littéraires : "Ayant obligé des mains fraternelles / A rougir de sang les fleurs du chemin". La construction du poème se prête bien à la chanson avec des couplets qui prennent la forme de refrain : les premières et dernières phrases de chaque couplet ont la même forme, avec toutefois de légères variations.


  4. Second poème d'Eugène Bizeau, Avant le départ est une condamnation sans appel de la propagande belliciste. Cela est d'autant plus méritoire que le texte a été écrit en 1914 ! Tichot est particulièrement à l'aise dans ce registre : le discours du va-t'en guerre est hurlé tandis que les pensées de Bizeau sont chantées sur un registre plus mélancolique.


  5. On retrouve la chanson du premier album : 1916. Avec une orchestration très différente : la voix se fait plus douce, presque éteinte, comme lassée. Le banjo en revanche introduit une note plus chaleureuse à moins qu'elle ne fasse penser à quelque chose de l'ordre de la marche.


  6. Après le Testament du fantassin, une seconde chanson évoque la foi des combattants : la Prière des ruines de Roland Gaël. Là, on passe dans le registre des professionnels de la chanson. Ces chansons étaient écrites pour l'arrière, le music-hall. La prière des ruines, écrite en 1917, témoigne d'une certaine interrogation face à l'étendue des dégâts : "de mon évangile hommes qu'avez-vous fait ?". Finalement, c'est le sens de la guerre qui est remis en cause. Pas d'ennemis désignés si ce n'est les hommes dans leur globalité. La chanson termine sur une note d'espoir qui n'est pas tant la victoire que le fait de "vivre et travailler en paix".


  7. La roulante est aussi une chanson de chansonnier (Lucien Boyer) datant de 1917. Cependant, elle reprend des thèmes chers aux poilus : l'opposition entre l'arrière ("les nouveaux riches", les "profiteurs") et le front, le souci d'avoir de quoi manger (d'où l'intérêt stratégique de la roulante) et la moquerie envers les députés et les journalistes. Malgré le temps comique du texte, François Guernier a choisi une interprétation davantage mélancolique : comme si celui qui parlait n'était pas un chansonnier mais un soldat accablé.


  8. La chanson de Craonne. Inutile de la présenter. Il s'agit ici de la version notée par Emile Poulaille.


  9. Une chanson de Scotto, dans tradition du music hall : le Cri du poilu. Cette chanson de 1915 révèle la méconnaissance de la vie au front et fait partie à sa manière du bourrage de crâne : "Ils n'pensent plus à rien qu'à tirer sur ces sales Prussiens" (vers que Tichot a préféré modifié). Evidemment, ils "bravent la mitraille". Mais la guerre moderne avec le poids de l'artillerie est méconnue : il n'est question que de mitraille, de flinguots, de pruneaux. Scotto révèle ainsi l'idée que pouvait se faire de la guerre un civil de l'arrière à la seule lecture des journaux et des communiqués.


  10. Dans la Tranchée est aussi une chanson belliciste de Théodore Botrel qui se veut comique : "L'un d'nous est mort et mort joyeux, en s'écriant : "tout est au mieux / Voilà ma tombe toute piochée : dans la tranchée !". Seulement, Tichot l'interprète sur un air de valse triste. Et là, ça met la puce à l'oreille. Elle devient plus une complainte : "alors commencent, sempiternels, les arrosages de leurs schrapnels"


  11. Lettre d'un socialo est une chanson de Montéhus, célèbre pour la Butte Rouge. C'est une chanson de l'Union sacrée, une chanson de circonstance, une chanson de 1914. Il y est même fait référence à une polémique de l'époque :"Qu'on dise à Monsieur Gervais, qu'il garde pour lui son histoire / Nous gardons pour nous la gloire, à nous battre en bons Français". M. Gervais, sénateur, expliquait alors les défaites françaises d'août 1914 par le fait que les régiments du Midi étaient peu vaillants, plutôt enclins à la paresse qu'au combat.


  12. La Ballade des tranchées est une de ces chansons anonymes, nées dans les tranchées en 1916. Si on retrouve l'ironie des poilus (comme dans Hurtebise), la mort et la violence y sont très présentes et contrastent avec la belle promenade des temps de paix. Le ton est volontiers patriotique : "Tuer des bandits n'est pas un crime". L'interprétation y est sobre, le texte est mis en valeur dans toute sa complexité.


  13. On retrouve Eugène Bizeau avec Leur Idéal, titre qui résume parfaitement la chanson. Il s'agit d'une interrogation sur le sens de la guerre face à la violence de la guerre ("la charge folle vers les canons meurtriers") et face aux remises en cause des principes démocratiques ("c'est bâillonner la justice"). La voix de François Guernier prend de l'ampleur à mesure que la colère monte...


  14. Les poilus est une autre chanson de music-hall de 1915, toujours dans la veine comique et belliciste. Elle popularise le terme de poilus qui se diffuse alors dans les journaux. L'interprétation joue sur la dissonance avec une voix imprégnée de violence et un piano qui joue dans les basses comme pour annoncer une menace. C'est le discours belliciste qui est ainsi mis à distance par Tichot.


  15. Chanson légère Choisis Lison, est parfaitement assumée par Tichot. Ecrite par le chansonnier Louis Bousquet, elle est en fait une déclinaison de tous les lieux de combats de la guerre de 1914 à 1917 (date d'écriture).


  16. Fleurs de tranchées est une jolie fleur de chanson née dans les tranchées sur l'air du Temps des Cerises. Trois couplets pour trois fleurs et une manière de décliner le temps qui passe. Malgré le message patriotique ("et toutes ces fleurs, aux couleurs de France / Feront un bouquet, frais et glorieux"), on peut noter que mois après mois la confiance semble s'émousser : le narrateur n'est pas certain d'atteindre le mois de juillet, mois où il est question de sang et de mort.


  17. Chanson assez célèbre du duo Boyer/Bruant, Le bois Leprêtre est un exemple de discours très belliciste, que l'on retrouve alors un peu partout dans la presse : "Dieu pour chaque poilu qui meurt / Jette des légions d'honneur". Image surprenante que celle de Dieu distribuant les légions d'honneur (n'est-ce pas le rôle du président de la République ?) mais qui est typique d'un discours d'Union Sacrée : c'est la réconciliation de l'Eglise et de la République. Malgré les allusions xénophobes, cette chanson interprétée avec sobriété est surprenante par la crudité des faits et des images qu'elle évoque : "Tous les arbres y sont hachés / et des bavarois desséchés / Là-haut sont encore accrochés". Le quotidien des soldats est assez bien connu : il y est question des "totos", c'est-à-dire des poux, véritables compagnons des poilus. Il faut dire qu'elle date de 1916 : la violence de la guerre est mieux connue, même à l'arrière.
Bref, il est urgent de se procurer ce livre-disque : il est d'ores et déjà en vente à la Caverne du dragon. Davantage de renseignements : sur le site officiel de Tichot et sur leur page MySpace

mercredi 16 avril 2008

Reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple

16 avril. Journée du Poilu à Craonne.

Journée anniversaire du déclenchement de l'offensive Nivelle sur le Chemin des Dames.
Le réveil a sonné de bonne heure ce matin. Rendez-vous était donné à 5h30 devant la mairie de Craonne pour une randonnée en mémoire de tous les combattants impliqués dans l'offensive.

6 h. Tirs de feux d'artifices le long du Chemin des Dames, comme des tirs d'artillerie. Comme ces tirs d'artillerie qui ont donné le coup d'envoi de l'offensive. Coup d'envoi de la randonnée sur les traces des régiments qui ont réussi à grignoter 2 km de territoire, en 3 semaines et au prix de milliers de victimes.
Randonnée d'abord sur les traces du 1er régiment d'infanterie (R.I.), du bois de Beaumarais aux abords de l'ancien Craonne. Puis randonnée sur les traces du 18 ème R.I. parmi les entrées de caves de l'ancien village, jusqu'à la montée sur le plateau de Californie. Paysage marqué par cette guerre industrielle : briques, tuiles de Craonne, tracé des tranchées, vestiges des bunkers allemands. Les hommes et les femmes sont aussi marqués par la guerre comme l'a souligné Noël Genteur en lisant témoignages et poèmes des combattants, en racontant ses rencontres avec les familles des soldats.

11 h, session extraordinaire du Conseil Général de l'Aisne

Le débat fut riche et constructif. L'enjeu : rendre leur dignité aux soldats condamnés pour l'exemple, une reconnaissance à l'égal de tous les combattants.

Yves Daudigny, président du Conseil général de l'Aisne, a insisté qu'il s'agissait d'une question d'apaisement national. Evidemment, la question des fusillés ne doit pas être la seule grille de lecture de la Guerre mais c'est un objet historique à part entière. L'objectif est donc d'éviter la polémique qui avait suivi la déclaration de Lionel Jospin en 1998.
Les conseillers généraux de la majorité (MM. Genteur et Lanouilh) ont fait appel aux valeurs républicaines et aux sentiments de chacun de leurs collègues. Ils se sont appuyés sur des témoignages pour expliquer la situation de ces combattants et de leur famille. Leurs prises de parole ont sans aucun doute remis de l'émotion dans la discussion.
Les conseillers généraux de l'opposition (MM. Rigaud et Meura) regrettaient qu'on mette tous les combattants au même niveau. Selon eux, les mérites ne sont pas les mêmes selon qu'on se révolte ou que l'on obéisse. Les condamnés pour l'exemple peuvent en revanche être considérés comme des victimes de la guerre.

Après une interruption de séance, un consensus est trouvé. Le terme de combattant est remplacé par celui de soldat. Le vœu finalement adopté à l'unanimité est ainsi formulé :

"Le Conseil général de l'Aisne invite solennellement la République française à prendre, dans la générosité qu'elle doit à ses enfants, et à l'occasion du 90ème anniversaire de la fin de la Grande Guerre, la décision de reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple comme des soldats de la Grande Guerre à part entière, comme des Poilus comme les autres, de façon à permettre que leurs noms puissent être légitimement inscrits sur les monuments aux morts des communes de France, à la demande de leurs familles ou des associations et collectivités concernées".


Le débat sur les condamnés pour l'exemple ne recouvre donc plus le clivage gauche-droite comme ce fut le cas en 1998.
Il semble s'esquisser un consensus , du moins local, à défaut d'être national.
Reste à savoir quelle sera la réaction de l'Elysée.

La polémique des historiens

Si polémique il y a, elle n'est plus vraiment politique, elle oppose les historiens. Certains (Jean-Jacques et Annette Becker, Stéphane Audouin-Rouzeau, Christophe Prochasson) considèrent les faits de refus comme minoritaires : ils ne présenteraient pas d'intérêt historique. A cette Ecole (dite "Ecole de Péronne"), qui a les faveurs des médias et des honneurs académiques, s'oppose des historiens (regroupés dans l'association CRID 14-18 dont font partie Nicolas Offenstadt, Frédéric Rousseau ou Denis Rolland) pour qui tout peut faire Histoire. Les attitudes minoritaires peuvent avoir plus de pertinence, d'intérêt historique que certaines attitudes majoritaires : leurs conséquences peuvent être plus grandes.

D'un côté des historiens qui considèrent qu'on en fait trop. De l'autre, des historiens qui continuent de creuser le sujet pour mieux comprendre les formes de contraintes et de répression au sein d'une armée républicaine. L'enjeu est en fait de comprendre ce qui a pu pousser les soldats à tenir pendant 4 ans.

mercredi 9 avril 2008

Bataille mémorielle, bataille politique

Nous avons déjà montré que le gouvernement envisageait la Première guerre mondiale comme un moment d'unité nationale, de ferveur patriotique, un moment héroïque pour la Nation. Le rapport Becker entreprenait un véritable retour en arrière mémoriel tandis que l'hommage à Lazare onticelli apparaît comme un moment de glorification, de construction d'une histoire héroïque, comme le montre N. Offenstadt (sur le site du CRID 14-18 et du CVUH).

La guerre comme un grand élan patriotique ?

A rebours de l'opinion publique et des fictions récentes, les cérémonies officielles renouent avec une lecture de la guerre comme un grand élan patriotique pour la défense de la Nation.
Cela apparaît d'autant plus étrange qu'à l'heure de la construction européenne, ce conflit européen - et plus particulièrement l'affrontement franco-allemand - semble incompréhensible, voire absurde.
Cela apparaît d'autant plus étrange que des œuvres de fiction et les travaux historiques ont, depuis des années, mis en avant le vécu des soldats : les situations et les opinions sont très contrastées et évoluent alors que la guerre s'éternise. L'histoire ne s'écrit pas uniquement à partir des textes des généraux et des hommes politiques, mais aussi à partir du témoignage du simple soldat.
Cela apparaît d'autant plus étrange qu'en 1998 déjà, Lionel Jospin avait insisté sur la répression au sein de l'armée française en prenant l'exemple des fusillés.

Reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple

Dans ce contexte-là, la Première guerre mondiale devient un nouvel enjeu politique, un lieu d'affrontement gauche-droite.
Et c'est dans ce contexte-là que le Conseil général de l'Aisne souhaite adopter un voeu invitant la France à "reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple comme des combattants de la Grande Guerre à part entière" et à inscrire leurs noms sur les monuments aux morts. "Le conseil général de l'Aisne invite solennellement la République française à prendre (...) la décision de reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple comme des combattants de la Grande Guerre à part entière, (...) de façon à permettre que leurs noms puissent être légitimement inscrits sur les monuments aux morts". Ce vœu doit être discuté et voté le 16 avril (tiens, tiens...).
Ici, pas de sens général donné à la guerre mais une attention au soldat... une autre forme d'héroïsation ? Pas tout à fait, il s'agit plutôt d'établir une égalité de "traitement mémoriel" entre tous les soldats, qu'ils se soient révoltés ou pas. Cela met évidemment en lumière la diversité des parcours et des attitudes dans la guerre.

D'un côté, donc, la droite gouvernementale reprend le thème du "grand élan patriotique"; de l'autre, la gauche locale souhaite reprendre le thème des fusillés comme symbole d'une injustice et d'une répression démesurée au sein de la République. On renoue donc avec un affrontement mémoriel digne de 1998, avec un débat idéologique qui peut même faire penser à l'Affaire Dreyfus.

Reste à savoir ce que fera la droite locale... réponse le 16 avril

mercredi 26 mars 2008

Commémorer le 90ème anniversaire de l'armistice


Même si le département est largement ignoré par l'Etat (voir l'article sur le rapport Becker), le Conseil général organise différentes formes d'hommages. A retenir en particulier, des commémorations moins officielles et plus populaires comme la journée du Poilu à Craonne (voir le programme détaillé de la journée et le parcours des marches) ou la veillée-spectacle à la Butte Chalmont.

90e anniversaire de 1918 : programme prévisionnel au 13 mars 2008

Vendredi 28 mars à 17 h 30 : cérémonie franco-allemande au cimetière militaire de Fourdrain.

Samedi 29 mars : Marche, exposition et conférences autour du premier site des Pariser Kanone (dits « grosse Bertha ») à Crépy.

Mercredi 16 avril : Chemin des Dames – LA JOURNEE DU POILU.

5 h 30 Craonne,
la randonnée du souvenir

17 h 30 arboretum du vieux Craonne,
Tichot chante « 14-18 avec des mots, une vie de bonhomme »

19 h 30 plateau de Californie,
la randonnée du souvenir

21 h 30 cimetière militaire de Craonnelle,
2 000 stèles comme autant d’étoiles, le chant des Basques

Samedi 19 avril 2008 à 10 h 30 : 91e anniversaire des combats du Chemin des Dames. Cérémonie au Mémorial de Cerny.

A partir de mai : exposition " La Grosse Bertha – 1918 : feu sur Paris"au Musée du Chemin des Dames- Caverne du Dragon.

Dimanche 25 mai : Mémorial day dans les cimetières américains (Belleau, Bony, Seringes et Nesles).

Samedi 31 mai : Inauguration d’une plaque en hommage au philosophe Alain à Paissy par l’Association des Amis d’Alain (Mortagne-Orne)

Dimanche 15 juin : Inauguration de la stèle à la 26e Division US (Yankee Division) à Braye-en-Laonnois.

Samedi 30 août : Veillée spectacle « Les Fantômes de 1918 » à la Butte Chalmont , monument national commémorant la 2e bataille de la Marne.


Vendredi 7 novembre : "inauguration" du collège Sellier à La Capelle

Samedi 8 novembre : inauguration du lieu de mémoire franco-allemand à la villa Pasques en présence de délégation des villes et communes de l’Aisne jumelées avec des villes allemandes.

Rallye historique commémoratif entre La Capelle et Compiègne.

Dimanche 9 novembre : Cérémonie du 90e anniversaire du cessez-le-feu à la Pierre d’Haudroy.

vendredi 18 janvier 2008

Commémorations de 1918 : une marche arrière mémorielle

Le président de la République avait chargé Jean-Jacques Becker, célèbre historien de la guerre et maître à penser de l'Ecole de Péronne, de présider une Commission sur les commémorations dans le cadre des 90 ans de l'armistice. Jean-Jacques Becker vient de rendre son rapport. Dans la continuité d'une tendance récente, on assiste à une sorte de retour en arrière mémoriel.

Depuis quelques années, on a en effet l'impression que la mémoire nationale devient conflictuelle en renouant avec une vision de l'histoire souvent dépassée.

Ainsi, en 2005, obligation était déjà faite aux enseignants de montrer les aspects positifs de la colonisation et si la loi a été abrogée, le débat ne s'est pas vraiment apaisé avec la peur d'une éventuelle repentance. La mémoire officielle de la Seconde guerre mondiale renoue, quant à elle, avec une certaine forme de résistancialisme (idée selon laquelle la France était habitée par 40 millions de résistants) digne de l'époque gaullienne, d'où l'hommage officiel à Guy Môcquet et un silence sur la participation de l'Etat français au génocide (voir les analyses du Comité de vigilance sur l'utilisation de l'histoire).


Une guerre qui donne naissance à l'Europe ?

Ici il s'agit donc des commémorations officielles de l'armistice de 1918 et du sens à donner à ces commémorations. Jean-Jacques Becker donne son interprétation dès l'introduction :

"Il ne s’agit pas de célébrer la victoire de 1918, mais la fin de la dernière guerre d’ordre essentiellement européen, même si celle-ci a connu d’importants prolongements mondiaux".

L'idée n'est pas nouvelle : elle repose sur l'hypothèse (non démontrée) comme quoi la fin de la guerre a donné naissance à la construction européenne. Certes, il y a des prémisses de rapprochement entre Etats européens sous l'impulsion du président du Conseil et ministre des Affaires étrangères français, Aristide Briand, et du ministre des Affaires étrangères allemand Gustav Stresemann en 1926. Mais ces rapprochements sont de courte durée et les rancoeurs liées aux règlements de la guerre sont plus fortes que les désirs d'association et de paix. On peut donc voir là que l'hypothèse de départ est largement idéologique et fait partie de cette mode actuelle de l'Histoire à vouloir à tout prix créer une histoire commune de l'Europe.

Cela dit, cette hypothèse de départ correspond bien à une volonté politique actuelle d'enraciner la construction européenne parce que celle-ci est considérée avec méfiance par les citoyens. Une commémoration étant toujours un discours sur le passé qui répond aux attentes présentes, il est donc logique de retrouver cette priorité affichée aux manifestations européennes.


Des principes en contradiction avec les propositions

Seulement, cette idée d'apaisement et de rapprochement entre les anciens adversaires est très vite contredite par le sens que Jean-Jacques Becker souhaite donner aux commémorations. Certes, les commémorations internationales prévues sont nombreuses : à Péronne et Amiens en mars 2008, cérémonie franco-allemande à Verdun en juin 2008, défilé militaire du 14 juillet.

Mais Jean-Jacques Becker explique que toutes ces manifestation doivent rendre hommage au sacrifice de ces hommes morts par devoir national. L'utilisation d'un terme du champ lexical religieux (sacrifice) renvoie à une perception de la guerre comme une croisade où les morts sont des martyrs (c'était un des discours de propagande diffusés pendant la guerre en particulier par la haute hiérarchie ecclésiale). Le mot de sacrifice n'est pas neutre : d'après le dictionnaire il désigne une renoncement volontaire. L'idée sous-jacente est que les soldats ont renoncé volontairement à leur vie pour un combat juste.

Quel est alors cet objectif pour lequel sont morts 10 millions d'hommes ? Celui de défendre la patrie selon Jean-Jacques Becker : "Ces immenses sacrifices en hommes et en moyens matériels ont été fondés chez tous les belligérants sur le devoir national". Il précise plus loin le sens de ce combat en indiquant que cette guerre était une guerre pour la démocratie.

Si on résume, cette commémoration est un moyen de célébrer la réconciliation entre nations européennes tout en fêtant le devoir national et le juste combat mené par les soldats pour le triomphe de la démocratie : d'un côté, on veut fêter la paix, de l'autre une guerre qui était juste.

En fait, Jean-Jacques Becker est pris entre une volonté politique de faire de ces commémorations une fête européenne et une interprétation de l'histoire (celle de l'Ecole de Péronne) selon laquelle les citoyens ont librement consenti à la guerre parce qu'ils étaient convaincus de la justesse de cette guerre (défense de la patrie et lutte pour la démocratie). Jean-Jacques Becker n'hésite d'ailleurs pas à donner des cours d'histoire (ou de morale) à ses opposants (le CRID14-18) :"il est nécessaire d’éviter le contre-sens de transformer ceux qui ont été dans leur masse des combattants conscients (même s’ils ne clamaient pas tous les jours leur patriotisme) en simples victimes".

Comme si cette commission était le meilleur endroit pour régler des comptes entre historiens. Le problème est que tout au long des manifestations proposées, ce qui l'emporte ce n'est pas l'intérêt général ou une mission civique mais plutôt l'envie d'imposer une vision unique et figée de la guerre (quitte à tomber dans des contradictions) : la guerre est un élan patriotique pour une victoire de la démocratie.


Un retour en arrière mémoriel

Du fait de cette interprétation de la guerre, on assiste à un véritable retour en arrière aux formes de commémorations des années 1920 : Becker ne fait que reprendre les thèmes de la propagande française (défendre la patrie et combattre l'autoritarisme allemand). D'ailleurs il reconnaît cette réalité pour ensuite l'évacuer par une pirouette : "Même si les Alliés entendaient lutter pour la démocratie contre les États autoritaires, cette thématique constituait davantage un élément de propagande qu’une réalité". Mais selon lui, parce qu'en 1918, les Russes abandonnent les Alliés et les Américains interviennent, ce mythe deviendrait réalité...

De fait les manifestations proposées n'apportent pas grand-chose de nouveau par rapport aux cérémonies qui avaient lieu juste à la fin de la guerre. On retombe dans un certain nombre de lieux communs :

  • il est prévu de réinstaller à Reims un monument rendant hommage aux troupes coloniales et datant de 1921. A l'inverse des commémorations de 1998 où l'Etat avait passé commande à des artistes contemporains d'oeuvres offrant une nouvelle vision de la guerre (la sculpture de Haïm Kern par exemple), ici il s'agit de revenir aux formes anciennes et patriotiques de commémorations, en réinstallant un monument rendant "hommage aux héros de l'Armée Noire", "morts en combattant pour la Liberté et la Civilisation". Là il n'est plus question de réconciliation franco-allemande mais de héroïsation et de reconstruction historique. Comme si les combattants africains avaient pu obtenir un peu de liberté suite à leur engagement !

  • Lieu commun aussi qu'est la cérémonie à Verdun (qui n'a pas grand-chose à voir avec l'année 1918) dont la propagande avait fait le lieu de la résistance héroïque des Français face à l'offensive allemande. Et c'est cet endroit qui a été choisi pour fêter la réconciliation franco-allemande. Etrange...

  • Autre lieu commun : "la flamme de la nation" sorte de flamme olympique qui irait de Paris vers la "Province" mais dont le message est évidemment nationaliste. C'est l'idée de Nation qui doit guider les commémorations du 11 novembre.

  • L'hommage rendu à Clemenceau perçu comme le véritable artisan de la victoire (le "Père la Victoire", comme on l'a surnommé après-guerre). L'homme qui a combattu les pacifistes, l'homme au gouvernement autoritaire, l'homme qui avait pour mot d'ordre "« Je continue à faire la guerre et je continuerai jusqu'au dernier quart d'heure car c’est nous qui aurons le dernier quart d'heure ! »" n'est peut-être pas le meilleur symbole de l'amitié entre les peuples européens. N'a-t-il pas dit par exemple que "le Boche devait payer" ?.

  • Dernier lieu commun la minute de silence exigée le 11 novembre à 11 heures du matin. Là encore on retombe dans l'émotion patriotique plutôt que dans une démarche de réflexion (comme pour "l'affaire Guy Môcquet")

Les grands absents des commémorations

Finalement peu d'hommages aux troupes coloniales si ce n'est le monument de 1921 qui sera réinstallé (et dont le message est un mensonge historique) et un hommage à un gouverneur général de l'Afrique occidentale française (Joost Van Vollenhoven) qui n'était pas africain lui-même et n'a pas commandé des soldats africains. On ne s'intéresse donc pas au simple soldat qui a été réquisitionné pour un combat qui lui était étranger.

De manière générale, l'Aisne semble être punie pour avoir donné trop d'importance au CRID 14-18. Peu de commémorations prévues alors que l'essentiel des combats en 1918 s'est passé dans le département (une cérémonie est en revanche prévue à Verdun, ce qui n'a aucun rapport avec 1918) : faut-il rappeler que les Allemands ont repoussé les Français bien au sud du Chemin des Dames jusqu'à Château-Thierry à partir d'où a été relancée la contre-offensive ?

En revanche, Péronne qui est un lieu moins stratégique en 1918 a droit à toutes les attentions avec le premier moment clé : cérémonie internationale aux morts de la guerre sous prétexte qu'il existe des cimetières de différentes nationalités à proximité (Rancourt) comme s'il n'y en avait pas d'autres ailleurs (nécropoles de Soupir par exemple).

En fait faut-il voir dans les choix effectués, un alignement de Jean-Jacques Becker sur l'utilisation de l'Histoire par Nicolas Sarkozy ?

  • la vénération pour Clemenceau (Nicolas Sarkozy qui a rédigé - ou fait rédiger- une biographie de Geogres Mandel, le plus proche collaborateur de Clemenceau, a plusieurs fois rendu hommage au "Tigre")

  • refoulement de la période coloniale

  • développement d'un nouveau patriotisme, d'une certaine idée de la France sous l'impulsion d'Henri Guaino ("Je veux remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale. Je veux rendre aux Français la fierté d'être Français" discours du 6 mai)

  • parallèlement à cela et paradoxalement, volonté d'apparaître comme un grand défenseur de l'idée européenne (photographie officielle avec le drapeau européen)

Finalement la vision de l'histoire proposée par Jean-Jacques Becker est une vision non seulement ringarde et patriotique mais surtout c'est une histoire perçue par les élites : les écrivains, le gouverneur général d'Afrique occidentale française, les dirigeants des différents pays invités (peut-être même le président des Etats-Unis). Peu de grandes fêtes populaires si ce n'est le défilé du 14 juillet où la population reste passive devant les armées et les écrans prévus. Seule exception, l'opération "le soldat connu" à destination des élèves et qui ressemble fortement à ce qui été proposé l'an dernier pour les 90 ans de l'offensive du Chemin des Dames dans l'Aisne...